Le 22 décembre 1989 ou le premier jour de liberté
Trente cinq ans après la chute du communisme, les Roumains doivent se rappeler leur passé
Steliu Lambru, 29.12.2025, 10:55
Au bout d’une semaine de manifestations massives ayant débuté à Timisoara dans la soirée du 15 décembre 1989, le régime de Nicolae Ceaușescu s’effondrait tel un château de cartes une semaine plus tard, le 22 décembre 89. Ce jour-là, quelques minutes après midi, le dictateur, accompagné de son épouse et d’une poignée de proches collaborateurs, prenait la fuite en hélicoptère depuis le bâtiment du Comité central du Parti communiste roumain, siège du pouvoir du régime communiste depuis quarante-cinq ans.
1200 personnes tuées en décembre 1989, en Roumanie
Mais la chute du régime Ceaușescu avait coûté la vie à environ 1.200 personnes à travers le pays. Elle laissait également derrière elle une société sidérée par ce qu’elle avait vécu pendant les décennies de pouvoir communiste, par la violence de la répression de ces derniers jours et par ce qu’elle devait désormais entreprendre. Le 22 décembre 1989 était le Jour Un de la liberté, et tout devait être reconstruit : l’économie, la société, l’État, les lois, la culture, l’éducation.
La tâche était ardue, et la partie la plus lourde de ce travail consistait à affronter le passé et à choisir la voie à suivre pour construire le présent et l’avenir au milieu d’un espace géopolitique qui redéfinissait ses contours à toute allure.
Comprendre le passé
Le philosophe Gabriel Liiceanu a tenté de répondre à une question qui taraude plus d’un : pourquoi la confrontation avec le passé a-t-elle été si compliquée ? Pourquoi les Roumains ont-ils dû traverser cette épreuve particulièrement dure, celle d’évaluer leurs propres choix et ceux des générations qui les ont précédés ? Gabriel Liiceanu : « Pourquoi déjà la confrontation avec son propre passé est-elle nécessaire ? C’est un sujet complexe et délicat. Parce qu’il exige des nuances, et parce que trente-cinq années se sont ecoulées depuis. La confrontation avec le passé est essentielle car, parmi les trois dimensions du temps — passé, présent et avenir — le passé est, selon moi, essentiel. Il constitue le temps fondateur de tout être, de tout individu humain et de tout peuple. Vouloir comprendre le présent et construire l’avenir en oubliant, en ignorant ce qui s’est déposé en nous comme fondement antérieur est carrément impossible. Si l’on se réfère à la vie de chacun d’entre nous, nous sommes constitués par les strates successifs que le temps a déposé dans nos neurones pour constituer celui que nous sommes aujourd’hui. Nous traînons derrière nous l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, tout ce que nous avons vécu au fil des années, toute notre expérience jusqu’à aujourd’hui. Nous sommes en permanence ce que nous avons été. Le passé n’est pas ce qui est révolu et sans importance. Le passé ne passe pas : il est la dimension qui demeure, celle qui nous fonde. »
Une histoire souvent déformée
Beaucoup de Roumains ont néanmoins tenté de fuir le passé. Le poids en était trop lourd, et l’appel à l’histoire n’a pas clarifié ce qu’il fallait faire. Bien au contraire, l’histoire a encore davantage compliqué les choix à opérer. Gabriel Liiceanu : « La totalité des strates qui se sont superposées au fil de l’histoire constitue la clé de notre advenir, de notre présent et de notre désir de construire un avenir. Mais nous avons trop souvent réinventé notre histoire, de sorte a ce qu’elle nous renvoie une image flatteuse. L’histoire officielle a trop souvent été soumise à des déformations opportunes ou opportunistes. Et le communisme est passé maître dans l’art de maquiller le passé, de lui refaire une virginité, de le déformer selon ce qui convenait à un dirigeant, au premier secrétaire du parti ou au dogme. Aussi, nous ne sommes jamais parvenus à connaître réellement notre passé : nous l’avons reformulé sans cesse au gré des circonstances, nous l’avons mal connu ou nous l’avons tout simplement ignoré. Et, en l’ignorant, nous risquons tout simplement de ne rien en apprendre. » Se tourner vers soi-même constitue sans doute une démarche mûre, lucide et salutaire. La confrontation honnête avec son passé apporte davantage de clarté et permet de mieux comprendre son état présent et de mieux orienter son avenir. (Trad Ionut Jugureanu)