Pesticides interdits : les néonicotinoïdes au cœur d’un débat environnemental majeur en Roumanie
Depuis plusieurs décennies, l’agriculture intensive s’est massivement appuyée sur les pesticides afin de garantir des rendements élevés et réguliers. Parmi les substances les plus controversées figure une classe d’insecticides systémiques : les néonicotinoïdes.
Daniel Onea, 26.05.2025, 13:20
Conçus pour lutter efficacement contre les insectes ravageurs, ces composés chimiques, absorbés par les plantes et transmis jusqu’au nectar et au pollen, ciblent le système nerveux des insectes, entraînant leur paralysie puis leur mort. Mais derrière leur efficacité redoutable, les néonicotinoïdes ont également laissé une empreinte inquiétante sur les écosystèmes : disparition des pollinisateurs, appauvrissement de la biodiversité, dégradation des sols et contamination des ressources en eau.
Un récent sondage national réalisé du 3 au 10 avril 2025 par le Centre de sociologie urbaine et régionale (CURS), à la demande de l’association Eco Ruralis et de la Fédération des apiculteurs de Roumanie (ROMAPIS), révèle une opposition massive de la population à l’usage de ces substances dans l’agriculture. Ramona Duminicioiu, présidente de l’association Eco Ruralis, nous explique :
« La question des néonicotinoïdes suscite une inquiétude croissante, non seulement chez les agriculteurs, mais aussi parmi les consommateurs. Notre enquête a révélé que 89 % des répondants rejettent catégoriquement l’usage de pesticides interdits par l’Union européenne dans la production alimentaire. Les néonicotinoïdes sont perçus comme particulièrement dangereux. Malgré leur interdiction officielle dans l’UE, ils continuent d’être utilisés en Roumanie sous couvert de dérogations exceptionnelles. Cela pose un problème crucial, notamment pour les apiculteurs et les petits producteurs, directement exposés aux effets de ces substances. »
Dérives réglementaires et mobilisation citoyenne
Or, ces dérogations supposées « temporaires », censées être strictement encadrées et réservées à des situations exceptionnelles, ont fini par devenir une pratique récurrente et, selon les ONG, abusivement systématisée, dénonce Ramona Duminicioiu :
« Depuis plus de 12 ans, ces dérogations sont renouvelées chaque année pour les cultures de printemps et d’automne, à une échelle industrielle. Le processus manque totalement de transparence et transforme une exception en norme. C’est un usage dévoyé des mécanismes européens. Face à cette dérive, nous avons saisi la justice avec la fédération des apiculteurs. La Cour d’appel de Cluj-Napoca nous a donné raison en première instance. Nos arguments s’appuyaient sur trois règlements européens contraignants, ainsi que sur une décision claire de la Cour de justice de l’Union européenne, qui interdit explicitement toute dérogation à l’usage des néonicotinoïdes. Cette victoire judiciaire montre que le droit européen est de notre côté. »
Le débat autour des néonicotinoïdes ne se limite pas à des considérations techniques : il soulève des enjeux majeurs de santé publique, de protection de la biodiversité et de souveraineté alimentaire. Les pollinisateurs, indispensables à la reproduction de nombreuses cultures, sont en première ligne face à ces substances toxiques. Leur déclin menace l’ensemble de la chaîne agroalimentaire et, à terme, la sécurité alimentaire des générations futures. Face à cette réalité, un changement de paradigme s’impose. La transition vers une agriculture durable, moins dépendante des intrants chimiques, est non seulement souhaitable mais aussi urgente et nécessaire. Cela implique un engagement fort de la part des pouvoirs publics, un respect rigoureux du droit européen et une mobilisation accrue de la société civile. La sensibilisation des consommateurs, déjà manifeste, doit s’accompagner d’un soutien concret aux agriculteurs souhaitant adopter des pratiques agroécologiques. Seule une approche holistique, conciliant productivité, responsabilité environnementale et respect du vivant, permettra de réconcilier l’agriculture avec les équilibres naturels qu’elle contribue à façonner.