Installation autour de l’art de la table
La Galerie « La cellule d’art » du centre de Bucarest accueille du 17 mai au 16 juin 2025 l’exposition « Dans la cuisine. Des gâteaux faits maison » des artistes Ana-Cristina Irian et Cristian Bassa. Ils ont imaginé une exposition qui se concentre sur l’importance de la table de cuisine, cet endroit qui réunit toute la famille. Mémoire de famille.
Sorin Iordan, 28.06.2025, 10:18
La Galerie « La cellule d’art » du centre de Bucarest accueille du 17 mai au 16 juin 2025 l’exposition « Dans la cuisine. Des gâteaux faits maison » des artistes Ana-Cristina Irian et Cristian Bassa. Cristina Irian est artiste visuelle, chercheuse et commissaire d’exposition. Elle a fait des études de sociologie, d’anthropologie visuelle et elle a un doctorat en arts visuels. Cristian Bassa est photographe, designer, éditeur et collectionneur. Les deux ont imaginé une exposition qui se concentre sur l’importance de la table de cuisine, cet endroit qui réunit toute la famille. Au premier plan: les cahiers de recettes des mères des deux artistes, des photos anciennes et notamment, la présence de la mémoire qui s’infiltre partout.
La cuisine, un espace de créativité et de convivialité
Cristina Irian : « Le bonheur simple de se réunir dans la cuisine pour goûter aux petits fours faits maison laisse une forte trace dans nos souvenirs d’enfance. J’ai donc imaginé une exposition autour de cette table et des outils de cuisine impliqués dans la réalisation des desserts de jadis. Des tasses, des récipients, un fouet, un tamis, autant d’objets qui par leur bruit accompagnent la préparation des gâteaux faits en famille. L’ambiance se complète par une radio que l’on entend en sourdine. C’est la cuisine spécifique des années 1980-1990, une petite pièce prise d’assaut par les mères, les grands-mères ou même les couples d’invités qui la préfèrent souvent aux salons. La table de cuisine se transforme très vite en un endroit où les gens parlent de nourriture, mais partagent aussi leurs sources de joie ou d’inquiétude. »
Comment l’idée d’une telle installation vous-est elle venue?
Cristina Irian : « L’idée de faire une exposition autour des recettes de gâteaux de nos mères m’est venue de mon expérience personnelle du deuil. Je parle de la mort de ma mère, c’est-à-dire de la disparition de celle ayant noté toutes ces recettes, qu’elle a su transformer par la suite en toute sorte de desserts et de gâteaux d’anniversaire. Et donc, pour raviver son souvenir, je suis partie sur les traces des objets témoignant de ces moments privilégiés. Je pense à des photos, à des lettres, aux cahiers de recette pleins de croquis, de petites notes. En les feuilletant, j’y ai découvert des échantillons de notre quotidien de l’époque qui ont poussé les visiteurs à nous faire part, sur les réseaux, de leurs propres expériences. Du coup, cette installation a encouragé le partage de souvenirs sur les réseaux sociaux. »
Quand les sens nous replongent dans le passé
Cristina Irian, sociologue et anthropologue, se penche sur la complexité informationnelle qu’une banale recette de cuisine peut cacher:
« Les recettes écrites à la main portent en elles de nombreuses significations, en fonction du moment et de l’endroit où elles ont été notées. Des études psychologiques sur la nostalgie du goût nous apprennent que certaines saveurs et odeurs sont capables de déclencher des réponses émotionnelles et de contribuer à la continuité identitaire. Des études anthropologiques de post-mémoire et de traumas trans-générationnel considèrent les recettes de cuisine comme d’importants vecteurs de la mémoire culturelle. Les recettes dépassent le langage. Les gestes dont on hérite, la manière dont on mélange les ingrédients, la préparation des repas, s’inscrivent dans des rituels tacites que l’on perpétue et qui nous permettent de sauvegarder la mémoire intergénérationnelle. Ce sont des gestes que les grands-parents transmettent à leurs petits enfants et qui deviennent des liens entre les membres de la même communauté, de la même famille, même si la distance physique s’impose. Une recette transformée en gâteau rend une absence plus supportable. Les recettes sont une forme de langage émotionnel, une manière de prendre soin des autres, de leur faire part de son amour, de son amitié. Ce sont des liens entre les parents, les amis ou les voisins. Feuilleter le cahier de recettes de quelqu’un nous permet d’entreprendre un voyage dans sa vie. D’une certaine manière, c’est comme si on restait aux côtés de tous ceux ayant vécu tous ces moments de partage. »
A la fin de notre entretien, Cristina Irian nous parle des attentes qu’elle a en rapport avec ce projet et le public qu’il attire:
« Nous espérons interagir avec les visiteurs, car cette exposition-installation ne se veut pas une simple vitrine qui présente notre expérience. Le public est encouragé à contribuer à cette archive collective de souvenirs inspirés de recettes et de gâteaux. Nous aimerions bien explorer les plats en tant que symboles de mémoire, d’identité et de résilience afin de transformer cette recherche interdisciplinaire en une expérience visuelle et sensorielle. » (trad. Ioana Stancescu)