Impressions roumaines pour le Levant
Entre les XVIe et XIXe siècles, les Principautés Roumaines faisaient partie du monde culturel oriental dominé par l'Empire ottoman. Situées à la périphérie de la poussée expansionniste de l'islam, les principautés soutenaient les chrétiens du Levant à travers la parution des livres religieux. C’est ainsi que les premiers textes chrétiens orthodoxes en arabe ont vu le jour dans l’espace roumain.
Steliu Lambru, 08.09.2025, 10:41
L’importance des impressions réalisées en Valachie et en Moldavie
Entre les XVIe et XIXe siècles, les Principautés Roumaines faisaient partie du monde culturel oriental dominé par l’Empire ottoman. Situées à la périphérie de la poussée expansionniste de l’islam, les principautés soutenaient les chrétiens du Levant à travers la parution des livres religieux. C’est ainsi que les premiers textes chrétiens orthodoxes en arabe ont vu le jour dans l’espace roumain.
Policarp Chițulescu, spécialiste en livres rares anciens, nous a détaillé l’importance des impressions réalisées en Valachie et en Moldavie pour les chrétiens levantins.
« À partir d’Alexandrie en Égypte et de Jérusalem, montant vers Beyrouth, des communautés chrétiennes ne pouvaient pas imprimer leurs livres dans leur propre langue. Pourquoi ? Parce que l’empire qui dominait ces territoires imposait aux chrétiens des conditions économiques et sociales discriminatoires. De ce fait, les chrétiens étaient souvent contraints d’abjurer leur foi, car ils ne pouvaient pas payer leurs impôts, qui étaient plus élevés que ceux des autres. D’autre part, ils perdaient leurs églises, ne pouvant s’acquitter des taxes qui leur étaient imposées, et il n’était donc pas question d’imprimer des livres, de cultiver leur foi ou de la préserver au sein de ces communautés chrétiennes. C’est pourquoi les patriarches d’Antioche, notamment, ainsi que ceux d’Alexandrie, de Jérusalem et de Constantinople entreprenaient de longs et épuisants voyages vers les pays où régnaient des princes chrétiens ouverts à l’idée de soutenir et contribuer à la survie des communautés chrétiennes en grande difficulté. »
Sous le règne de Constantin Brancovan
L’histoire des textes imprimés en Roumanie pour les chrétiens du Levant débute à la fin du XVIIe siècle, comme nous l’explique Policarp Chițulescu :
« Sous le règne de Constantin Brâncoveanu, le prince martyr, qui était entouré d’un génie de l’art typographique, le géorgien Antim Ivireanul, également saint martyr, deux figures importantes de l’histoire de la Valachie, il fut possible d’imprimer pour la première fois au monde des textes orthodoxes en arabe, destinés aux chrétiens orthodoxes du Levant. Le premier livre orthodoxe du monde à leur attention fut imprimé à Snagov en 1701 : il s’agissait des Saintes Liturgies, lesquelles témoignent de la finesse et du soin apportés à leur exécution. Non seulement le prince de Valachie finança ce début des livres en arabe, mais il finança également la technologie de l’époque, qui s’avéra être extrêmement fertile. Il semble que le patriarche Athanase III Dabbas, proche de Brâncoveanu et d’Antim Ivireanul, ne se contenta pas de récupérer les deux premiers livres imprimés en caractères arabes à Snagov et à Bucarest, en 1701 et 1702, mais aussi du matériel typographique et des artisans pour apprendre à les utiliser. Ainsi, il installa à Alep, en Syrie, une presse typographique, dont il reste un évangile imprimé en 1706 et un psautier de la même année, décoré du superbe blason de Brâncoveanu. Ce blason représente évidemment non seulement la preuve du financement, mais aussi de la reconnaissance de la communauté arabe orthodoxe d’Alep, en Syrie, envers le prince roumain. »
Une influence culturelle et religieuse qui a rayonné
Mais l’influence culturelle et religieuse de l’œuvre de Cosntantin Brâncoveanu et d’Antim Ivireanul s’étendit bien au-delà de la mer Noire. Policarp Chițulescu :
« Un autre fruit du mécénat de Constantin Brâncoveanu, cette fois-ci pour les chrétiens géorgiens, fut un évangile imprimé à Tbilissi en 1709, signé de la main d’Antim Ivireanul. Il s’agissait d’un don, d’un cadeau pour le bienfaiteur de la foi de cette région du Caucase, qui forme la Géorgie actuelle. »
Comme le souligne Policarp Chițulescu, l’esprit oriental a toujours été plus enclin à la contemplation, ce qui s’est reflété dans les impressions :
« L’Orient, en général, s’intéressait davantage à la poésie, à la prière, à la mystique, bien qu’il ait produit des théologiens d’une grande valeur comme Saint Jean Damascène, originaire de Damas, en Syrie. L’Orient a évité les spéculations théologiques et a plutôt profité de la catéchèse qui se faisait à travers la liturgie et la prière à l’église. C’est pourquoi l’impression arabe orthodoxe, pour la première fois au monde, s’est ouverte avec la liturgie et le livre des heures. Bien sûr, l’impression se poursuivit avec les évangiles, les commentaires, le psautier, l’épître sur la repentance, des ouvrages imprimés à Alep jusqu’en 1711. Il y eut aussi des volumes de sermons, etc. Les impressions roumaines ont constitué des sources pour les impressions arabes, tant du point de vue graphique que du texte liturgique lui-même. »
Une pratique qui a perduré après Constantin Brancovan
La mort de Constantin Brâncoveanu en 1714 ne mit pourtant pas fin au soutien des chrétiens d’Orient.
Policarp Chițulescu : « Les Principautés roumaines n’ont pas abandonné le projet de soutenir les chrétiens du Levant, et un autre leader de la mission orthodoxe fut le patriarche Silvestre d’Antioche. Au milieu du XVIIIe siècle, il se rendit fréquemment en Valachie et en Moldavie, où les princes Constantin et Ioan Mavrocordat, fils du grand prince Nicolae Mavrocordat, financèrent également l’impression de livres dont nous n’avions que de vagues mentions avant de les découvrir. Le nombre d’impressions en arabe augmenta à Iași et à Bucarest au milieu du XVIIIe siècle. En fait, la contribution roumaine fut bien plus riche et diversifiée. Le patriarche Silvestre imprima à Iași et à Bucarest plusieurs ouvrages, certains de prières, d’autres exprimant la position orthodoxe face aux défis qui surgirent lorsque certains membres de l’Église antiochienne s’unirent à Rome en 1724. »
Les Roumains ont ainsi contribué à soutenir la résistance culturelle et de foi des chrétiens de l’Orient aux XVIIe et XVIIIe siècles en imprimant des livres et offrant ainsi des rayons d’espoir à ceux qui cherchaient la paix dans leur foi.
(Trad Ionut Jugureanu)