Les usines 23 Aout
Par la loi 119 du 11 juin 1948, l’État communiste roumain nationalise les entreprises industrielles, bancaires, d’assurances, minières et de transports, soit les principaux moyens de production de la Roumanie capitaliste d’avant. Parmi les usines ainsi saisies figuraient les Usines Malaxa, créées par l’industriel Nicolae Malaxa au début des années 1920.
 
                                            Steliu Lambru, 15.09.2025, 10:37
Elles seront rebaptisées Usines 23 Août, en l’honneur du jour où la Roumanie dénonça en 1944 son alliance avec l’Allemagne nazie et, réunies avec une autre grande usine située dans le sud-est de Bucarest, Republica, la République, formeront l’une des principales plateformes industrielles de la Roumanie socialiste. Pendant près de 80 ans, on y a produit du matériel roulant, des moteurs et des pièces d’armement. L’ingénieur Pamfil Iliescu est embauché aux Usines 23 Août en 1958. Interrogé par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine en 2002, Iliescu se souvenait qu’à la fin des années 1950, les usines fonctionnaient encore grâce au savoir-faire des anciens techniciens et ingénieurs de Malaxa :
« Le directeur-général était un certain Putinică, un ancien ouvrier. Un homme malin mais chaleureux. Il avait noué des relations amicales avec le Premier ministre Chivu Stoica, peut-être grâce à un certain lien de parenté, et il menait une politique assez favorable à l’usine. Sous sa responsabilité, il avait gardé d’anciens spécialistes à des postes de direction. Par exemple, le directeur technique était un ancien patron d’entreprise qu’il maintenait en poste, parce que c’était un excellent professionnel. Et il y avait encore des ingénieurs de la vieille garde, formés à l’époque de Malaxa. »
Dès ses débuts, le développement économique de la Roumanie communiste reposait sur son talent à copier les produits innovants des pays capitalistes industrialisés. Pamfil Iliescu :
« À cette époque, il y avait une intense activité d’assimilation de nouveaux produits. On assimilait la fabrication de compresseurs d’après une licence anglaise et on préparait l’assimilation de nouveaux moteurs. Les moteurs, déjà utilisés pendant la guerre, étaient copiés d’un modèle hongrois, lui-même inspiré d’un moteur allemand. À partir de 1963-1964, on a commencé à acheter officiellement des licences. Jusque-là, on copiait : on démontait un moteur, on l’analysait et on fabriquait chaque composant. Mais on n’avait pas le droit d’exporter. »
Cependant il fallait davantage pour qu’un tel colosse devienne rentable. Pamfil Iliescu :
« Lorsque le marché roumain s’est ouvert à l’export, il a fallu tout réglementer. On a alors acheté officiellement des licences étrangères. L’on disposait ainsi par exemple d’une licence anglaise pour produire de compresseurs. Il y a eu aussi des licences de groupes hydrauliques pour locomotives, des licences achetées à une société autrichienne, et puis bien d’autres. Les locomotives, au départ, étaient fabriquées d’après des modèles soviétiques. Ensuite, des discussions ont eu lieu avec les Suisses. Les wagons, eux, étaient russes, même si l’on bénéficiait d’une certaine tradition nationale dans la conception et la construction de wagons. On avait encore une licence pour l’appareillage de frein, une autre, allemande, pour fabriquer des moteurs. En revanche, les moteurs que l’on fabriquait pour doter nos chars de combat ont été assimilés sans licence. Les Allemands nous rendaient souvent visite, car ils soupçonnaient quelque chose, ils tentaient de vérifier si nous n’avons pas utilisé leurs licences a d’autres fins. En réalité, les pièces étaient apparentées, avec un double usage : civile et militaire. »
Mais la crise systémique du régime a fini par affecter aussi le fonctionnement des usines pendant les années 1980. Pamfil Iliescu :
« Les objectifs du plan étaient souvent irréalisables. Aussi, si notre usine s’avérait capable de fabriquer les pièces principales – vilebrequins, pistons, culasses – la confection des petites pièces ne suivaient pas, même en utilisant toute la capacité, qu’à 35 % tout au plus. Impossible de fonctionner ainsi. Le plan fixait comme objectif la fabrication de 15.000 moteurs par an, mais nous n’avons jamais produit plus de 1.200, ce fut le maximum. Alors, l’on a inventé la notion de moteur équivalent. Un moteur fabriqué était compté comme deux fois et demie le moteur prévu au plan. Ainsi, au lieu de 15.000 moteurs, nous en produisions 1.200 qui, équivalés, représentaient 6.000 à 7.000 moteurs du plan. C’était une absurdité. »
Rebaptisées Faur après 1989, les usines ont sombré peu à peu et ont fini par être désaffectées. Sur environ 90 hectares, des halles, des laboratoires, divers bâtiments et installations en conservation attendent des jours meilleurs.
(Trad Ionut Jugureanu)
 
                                                                                                 
                                                                                                 
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                            