Sergiu Celibidache (1912-1996)
Né en Roumanie, le chef d’orchestre Sergiu Celibidache a été une importante personnalité de la musique dite classique européenne et internationale de la seconde moitié du XXème siècle. Durant les 84 ans de sa vie, Celibidache s’est forgé une grande réputation grâce à son talent, certes, mais aussi grâce à son style très personnel de diriger un orchestre. Portrait.
Steliu Lambru, 02.11.2025, 10:06
Une personnalité marquante de la culture roumaine
Né en Roumanie, le chef d’orchestre Sergiu Celibidache a été une importante personnalité de la musique dite classique européenne et internationale de la seconde moitié du XXème siècle. Durant les 84 ans de sa vie, Celibidache s’est forgé une grande réputation grâce à son talent, certes, mais aussi grâce à son style très personnel de diriger un orchestre. Sa biographie professionnelle, étendue sur plus d’un demi-siècle, inclut également le travail de transmission de son savoir à travers des classes de maître. Il a été le chef principal des Philharmonies de Berlin et de Munich, il a dirigé le London Symphony Orchestra et l’Orchestre symphonique national danois, les orchestres symphoniques de la RAI, de Radio France, de Radio Stuttgart et de Radio Suède. Il a enfin reçu de nombreux prix, décorations, titres de docteur honoris causa et de citoyen d’honneur.
Le livre « Sergiu autrement »
Lors du lancement du livre « Sergiu autrement », signé par son épouse Ioana Celibidache, le fils du grand chef d’orchestre, Serge Ioan Celibidache, de parler de son père.
« Il n’avait jamais oublié ce que c’était d’avoir de quoi manger et je crois que c’est là qu’il avait compris les principales valeurs de la vie. Il n’avait jamais oublié la Roumanie, comme ce livre nous le dit, d’ailleurs. J’ai tellement souffert de son absence. Ma mère aussi. Sa mort a été, pour nous tous, une énorme blessure, très difficile à supporter. Ma mère et moi, nous nous souvenons des mêmes histoires, juste un peu différentes, car elle avait plus de fantaisie, sa mémoire était plus colorée, et donc mes notes ne sont pas identiques aux siennes. Mais ce livre parle d’autre chose: il parle de mon père, de ses couleurs à lui, du fait qu’il était à la fois un génie et un fou intransigeant. Il était un homme tridimensionnel, vivant une vie définie par sa générosité, par sa folie. Cela peut surprendre, mais moi je l’ai vécu à ses côtés. »
Les souvenirs du pianiste roumain Dan Grigore
En 1976, lorsqu’il avait 33 ans, le pianiste roumain Dan Grigore a eu la chance de faire la connaissance de Sergiu Celibidache. Il raconte :
« Je me trouvais, un jour, chez le violoniste Ion Voicu, qui faisait de son mieux pour charmer le Maître, Celibidache. Son intérêt était tout à fait subjectif et, d’une certaine façon, compréhensible. Il voulait que Celibidache accepte d’enseigner la direction d’orchestre à son fils, Michi. Moi, je n’arrêtais de lui dire <Maître, ça ne va pas comme ça! Il n’apprendra pas avec Celibidache ; il devra voler le métier, car le Maître oblige le candidat à passer sous des fourches spéciales ; et seulement s’il passe, il méritera de recevoir certains éléments du savoir du Maître. Si non, ça ne va pas!> Mais Ion Voicu ne m’a pas cru sur parole. Moi, j’ai demandé à Sergiu Celibidache de m’accepter en tant qu’élève, précisant que je n’étais pas intéressé par la direction d’orchestre. <Moi, je veux apprendre la musique avec vous, Maître >, je lui ai dit, <pouvoir confirmer ce que je crois, le chemin que j’ai entamé, c’est déjà une chose extraordinaire pour moi. Mais je pense que vous pouvez m’apprendre beaucoup d’autres choses encore.> Alors, il m’a répondu: <Oui, bien-sûr, dis à Voicu de mettre ton nom sur la liste.> »
L’impossibilité de visiter son pays natal pesait lourd
Sergiu Celibidache a toujours ressenti comme un gros échec l’impossibilité de visiter son pays natal pendant longtemps après 1945, ajoute Dan Grigore.
« Il était extrêmement bien informé de ce qui se passait en Roumanie, à laquelle il se sentait très attaché. Il ne le reconnaissait peut-être pas souvent, mais il se sentait étroitement lié au pays et il demandait à tous les Roumains, qui venaient le voir, des informations sur la situation en Roumanie. Il était au courant d’un tas de choses, peut-être sans le montrer, mais il en était parfaitement informé. Il y a des gens qui répètent encore sa remarque critique, faite à la Philharmonie (de Bucarest), <Comment avez-pu avaler tant de médiocrité?>, des gens auxquels je raconte que moi-même, je lui répondais <C’est le système, Maître!> ; <Dan, Dan, ne prends pas ça tellement à la légère>, me répliquait-il. Il en était donc très au courant, mais il se contentait d’émettre des critiques paternelles envers les personnes présentes. Il m’a dit qu’il était parfaitement au courant de ce que j’avais subi. Se référant à un concerto de Mozart que j’avais joué sous sa direction d’orchestre, il m’a dit <Ton Mozart est d’une certaine façon imprégné de quelques-unes de tes propres souffrances. Personnellement, je le vois plus solaire, mais le tien est tout aussi acceptable.> Il ne voulait pas me blesser. C’était quelqu’un d’extraordinairement prévenant. »
La valeur sentimentale de la maison de campagne familiale en France.
Pour Serge Ioan Celibidache, la disparition de ses parents a renforcé la valeur sentimentale de la maison de campagne familiale en France.
« C’est un endroit, un point de référence pour ma famille, et quand papa ou maman me manque trop, c’est là-bas que je les retrouve. Je connais toutes les histoires du jardin, chaque arbre en a une, différente, papa me racontait, par exemple, qu’il l’avait planté le jour de la naissance d’un de nos chiens. D’ailleurs, il avait créé le jardin pour y retrouver un bout de Roumanie. C’est lors de son enterrement que j’ai enfin vraiment compris cette idée. Mon cousin, Radu Macovei, a remarqué combien roumaine était la maison. Des blouses traditionnelles étaient accrochées aux murs, le bois était sculpté d’une façon très précise. Pour moi, c’était une maison familiale où l’on passait un weekend. Mais en réalité c’était plus profond que ça. Quand je prends le temps d’analyser, je vois ce que lui y voyait sans le dire à haute voix. C’était de la pudeur, il ne disait pas combien la Roumanie et sa famille lui manquaient. C’est ce qu’on devrait ressentir là-bas. On y comprend beaucoup mieux sa vie après avoir quitté la Roumanie sans pouvoir y retourner ; sans pouvoir rien faire, puisque personne ne lui avait permis de revenir et de prendre part à la vie musicale de Roumanie. »
« Sergiu autrement » est une biographie du chef d’orchestre Sergiu Celibidache. C’est un livre sur la vie en exil d’un artiste, mais également sur la quête du sens dans un monde qui semble souvent en être dépourvu. (Trad. Ileana Ţăroi)