De nouvelles migrations visibles … et parfois mal acceptées
Les Roumanie et les nouveaux venus : des ponts culturels dans une société en changement
Iulia Hau, 10.12.2025, 10:30
L’année 2025 est la troisième année consécutive où la Roumanie a enregistré plus d’arrivées que de départs. Le chercheur Anatolie Coșciug affirme que ce changement est dû à un ensemble de facteurs, parmi lesquels les besoins du marché du travail et les politiques nationales et européennes en matière de migration. En même temps, selon une étude récemment publiée par le Conseil économique et social, les recruteurs affirment que la plupart des entreprises qui ont embauché des travailleurs étrangers ont enregistré une augmentation de leur chiffre d’affaires, une productivité accrue et des performances financières supérieures. Ces changements se reflètent également sur le plan social. Dans la capitale, par exemple, de plus en plus de restaurants et d’épiceries diversifient les rues de la ville avec de nouvelles saveurs et couleurs africaines et asiatiques. Cependant, tous les bucarestois ne voient pas ces mutations d’un bon œil.
Créer des liens intercommunautaires
Cette année, des travailleurs culturels, des organisations et des ONG soutenus par l’Administration du Fonds culturel national ont lancé les premiers projets culturels et communautaires visant à rapprocher les étrangers et la société d’accueil. Le Centre de ressources juridiques (CRJ), actif depuis 1999, est l’un des initiateurs. Au cours des derniers mois, grâce à des recherches, des groupes de travail et des représentations théâtrales, les histoires des nouveaux arrivants ont été présentées, contribuant ainsi à la création d’un environnement social qui comprend et respecte leurs expériences complexes de vie et de migration. Georgiana Bădescu, coordinatrice du projet, a consacré l’année dernière à comprendre les besoins et les difficultés auxquels sont confrontés les migrants en Roumanie et à identifier des moyens innovants leur permettant de raconter leur histoire.
« J’ai ressenti un manque de représentation des récits de vie des migrants dans l’espace public, dans le sens où les citoyens lambda, les Roumains, ne connaissaient cette forme d’altérité, ces étrangers, qu’à travers les informations, à travers la presse donc de manière indirecte. On n’avait pas nécessairement accès à des histoires authentiques dans l’espace public. Et j’avais l’impression qu’ils étaient susceptibles d’être victimes de discrimination, tant de la part de l’État que de la population, qui est peut-être effrayée par quelque chose de nouveau. Nous avions besoin de comprendre comment ces personnes se sentent, quel est leur vécu en tant qu’étrangers dans cette société. Et à partir de là nous voulions qu’une nouvelle approche puisse être mise à l’ordre du jour public. C’est de là qu’est venue l’idée d’une recherche qui aboutirait à un spectacle, un livre pour enfants et un documentaire. »
Des vies difficiles, menées dans l’ignorance générale
Dans leur étude intitulée « Une journée dans la vie d’un travailleur migrant », les auteures ont analysé la perception qu’ont les migrants du système législatif roumain, ainsi que la manière dont ils vivent leurs relations avec les citoyens roumains et leurs familles restées au pays. La recherche a mis en évidence un contraste marqué entre le cadre juridique roumain, clair et solide, avec des dispositions élaborées, et la réalité à laquelle sont confrontés les migrants. Sur la base des problèmes identifiés lors des entretiens, la réalisatrice et actrice Crista Bilciu a créé un spectacle culturel immersif, qui s’est déroulé dans les locaux du Centre de ressources juridiques.
« Nous avons donné 10 représentations en 3 jours. Chaque représentation a réuni environ 15 à 20 participants. Avec ce spectacle, nous avons essayé de faire vivre à chaque citoyen les étapes de la vie que les travailleurs non européens ont décrite dans les entretiens menés dans le cadre de la recherche. Il y avait 10 étapes, à commencer par l’entretien pour l’obtention du visa, où nous avons posé les questions que les migrants nous avaient rapportées. L’une d’entre elles, dont je me souviens, concernait un travailleur migrant qui demandait un permis de travail dans le bâtiment et à qui l’intervieweur avait demandé de montrer ses mains pour voir s’il avait des mains de travailleur. Le spectateur roumain passait alors par ces étapes : l’entretien pour le visa, le patron, puis je leur donnais des sacs de livraison et une carte avec laquelle ils devaient se débrouiller dans toute la maison, où il faisait sombre et où ils ne disposaient que d’une lampe UV, avec laquelle ils pouvaient découvrir des messages cachés sur les murs qui étaient les témoignages des migrants. Ensuite, chez le médecin, où nous avons essayé de dépeindre une situation que nous avons rencontrée avec un migrant, à savoir celle de se rendre chez le médecin et de découvrir qu’en fait, l’employeur n’a jamais payé vos cotisations et que vous n’êtes pas assuré. Pour finir, il y avait une chambre dite de solitude, dans laquelle ils pouvaient écouter un message vocal en bengali et en roumain, envoyé par l’un des travailleurs à sa mère. »
L’art contre le rejet
Georgiana Bădescu affirme qu’après chaque représentation, les participants sont restés devant le bâtiment pour discuter, débattre, surpris par une réalité qu’ils n’imaginaient pas. Après le spectacle, le CRJ a réalisé un livre pour enfants, inspiré de l’histoire d’un livreur de repas qui emporte toujours avec lui une caméra vidéo pour pouvoir voir son enfant de deux ans resté à la maison. La représentante du CRJ estime que les ponts culturels créés avec les communautés de migrants devraient rester une priorité pour l’Administration du Fonds culturel national et d’autres bailleurs de fonds. Selon elle, la culture est le moyen le plus sûr de réduire la discrimination, de sensibiliser les communautés et de renforcer les relations entre elles. La culture et l’art, affirme la spécialiste, sont un moyen extraordinaire de rassembler les gens.