Hillel Manoach (1797-1864)
Hillel Manoach, homme d’affaires influent de la première moitié du XIXème siècle, a eu ses racines dans la communauté séfarade du Bucarest multiculturel de son époque. Manoach s’était profondément impliqué dans la relation tissée entre le monde des finances et les projets politiques de ces temps-là, dont principalement l’édification de la Roumanie moderne. Portrait.

Steliu Lambru, 08.06.2025, 10:42
Un homme d’affaires influent de la première moitié du XIXème siècle
Hillel Manoach, homme d’affaires influent de la première moitié du XIXème siècle, a eu ses racines dans la communauté séfarade du Bucarest multiculturel de son époque. Manoach s’était profondément impliqué dans la relation tissée entre le monde des finances et les projets politiques de ces temps-là, dont principalement l’édification de la Roumanie moderne. C’était l’époque de la prise de décisions vitales pour les Principautés de Moldavie et de Valachie et pour leur existence étatique. Un contexte dans lequel l’union « était la clé de voûte sans laquelle tout l’édifice national s’effondrerais », selon l’historien et homme politique Mihai Kogălniceanu.
Hillel Manoach est né dans la famille d’un homme d’affaires de Constantinople, capitale de l’Empire ottoman, en 1795 ou peut-être en 1797. Tout comme son frère Israël, il a suivi l’exemple professionnel du père, les deux frères figurant dans des documents officiels en tant que créditeurs du prince valaque Grigorie IV Ghica de 1827 à 1832 ; ils étaient exempts d’impôts pour des services faits à l’Etat. Après cette période et jusqu’à la révolution de 1848, Hillel a été le principal créditeur de la garde nationale, qui a servi de structure pour la création de l’armée roumaine moderne. Il faut préciser que la révolution valaque aurait eu peu de chance de se manifester en l’absence du financement fourni par Hillel Manoach. Plus tard, dans les années 1850, il fait partie de ceux qui particpent au développement du système bancaire, ancêtre de la future architecture financière-bancaire de la Roumanie.
Son activité
Peu connue par la postérité, le souvenir de Hillel Manoach a droit à une restitution. Un proverbe dit qu’il vaut mieux tard que jamais et Felicia Waldman, professeure à l’Université de Bucarest, redonne la biographie de Manoach à l’histoire de la Roumanie.
« Nous savons que Hillel Manoach a été banquier, commerçant, philanthrope, financeur des princes roumains, mais aussi des Trésors publics des Principautés de Valachie et de Moldavie et, après 1859, de l’Etat roumain. Il a été un des premiers grands créditeurs séfarades ottomans établis à Bucarest ; avant lui, les grands argentiers se trouvaient à Constantinople. Il appartenait à une famille de commerçants et de banquiers très connectée aux finances des grandes capitales européennes. Il a aussi été le chef de la communauté séfarade de Bucarest, ayant de bonnes relations avec les autorités locales, ce qui lui a permis de protéger également les ashkenazes. Il a été le représentant personnel du sultan aux Principautés roumaines, il a financé la Révolution de 1848. Il a été décoré par trois empereurs, étant ainsi le seul personnage de l’histoire de la Roumanie à avoir été distingué par le tsar russe, l’empereur autrichien et le sultan ottoman. »
Un partisan de l’éducation
Comme toute personne riche et influente, adepte des idées de l’Illuminisme, Hillel Manoach a été un partisan de l’éducation comme solution d’émancipation de l’homme moderne et il a légué ses valeurs à ses descendants. Mais ses intentions nobles n’ont pas toujours été appréciées par tout le monde, ajoute Felicia Waldman.
« Hillel Manoach a également été un mécène culturel ; l’Université de Bucarest, fondée en 1864, année du décès de Manoach, recevait cinq années plus tard en 1869, un don de 100.000 lei-or de la part des fils Isac et Emanuel, pour des prix et des bourses d’études. Ce fonds a existé jusqu’en 1939, donc jusqu’à la deuxième guerre mondiale. La liste des boursiers et des primés, étendue sur 70 ans, contient à peine une dizaine de Juifs, car, la plupart du temps, l’accès à ce financement ne leur avait pas été ouvert. Et puis, certains des bénéficiaires de ces bourses et prix d’avant et d’après la première guerre mondiale ont compté parmi les antisémites les plus virulents de Roumanie. Jeunes, ils avaient longtemps vécu de l’argent juif, pour devenir antisémites après. Ainsi va l’histoire. »
Sa maison
Comme tout membre de l’élite d’un pays en pleine expansion modernisatrice, Hillel Manoach habitait dans le périmètre central actuel de Bucarest, qui était le centre commercial de la capitale à son époque. Mais sa maison n’existe plus aujourd’hui, en raison des transformations successives subies par la ville, a précisé Felicia Waldman.
« La maison Hillel Manoach n’existe plus, mais il existe dans le coin la rue Jacques Elias. C’est une ruelle piétonne qui débute près de l’église Sfântul Gheorghe-Nou et se déroule parallèlement au boulevard Brătianu. C’est une toute petite rue, avec seulement deux bâtiments sur un côté ; sur l’autre, un terrain vague occupe la place où se dressait autrefois la maison de Hillel Manoach. Il est intéressant de signaler le fait que la ruelle porte le nom de Jacques Elias, petit-fils de Hillel Manoach. Je suis persuadée que ceux qui ont donné le nom à cette petite rue ne connaissaient pas ce détail, mais c’est une belle ironie du sort. »
Hillel Manoach a trouvé en Roumanie la patrie à laquelle il a pu lier ses aspirations, sa fortune personnelle et ses efforts pour soutenir ses idées, dans la première moitié du XIXème siècle. Et malgré des échecs personnels et communautaires, il a soutenu le projet roumain pour qu’il devienne viable. (Trad. Ileana Ţăroi)