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Les chants de Noël dans la tradition roumaine

Chaque année, dans les villages de Roumanie
et de République de Moldova, quelques jours avant la fête de la Nativité du
Jésus Christ (le 25 décembre dans la plupart des pays de culture chrétienne,
mais le 6 janvier en Arménie et le 7 janvier en Russie, Serbie, Géorgie et sur
le Mont Athos), des groupes de jeunes se rassemblent. Ils se sont déjà préparés
pour un rituel qui remonte à la nuit du temps. Parfois, des enfants les
accompagnent aussi, portant une étoile en papier. Le groupe se rend de maison à
maison pour chanter des chansons traditionnelles. Après avoir chanté, les hôtes
offrent à chacun de la nourriture ou de l’argent. En roumain, cette coutume
s’appelle « colindat » et les chants « colinde ». Mais que
chante-t-on à cette période des fêtes ? En plus de « réveiller » les
hôtes pour les annoncer la bonne nouvelle de la Nativité du Christ, les
chanteurs font de vœux de bon augure : que les hôtes aient une nouvelle
année pleine de riches récoltes, ou que leurs jeunes filles se marient l’année à
venir. Mais comment cette tradition est-elle née et comment est-elle arrivée
sur le territoire de la Roumanie actuelle et de la République de Moldova ?
Aujourd’hui nous vous invitons à découvrir l’histoire des chants de Noël. Dans
les minutes suivantes, nous vous proposons de suivre leurs racines
préchrétiennes, leurs développement dans l’Antiquité tardive et au Moyen-Âge,
dans l’espace du christianisme occidental ou de Byzance, ainsi que leurs premières
attestation en Roumanie et République de Moldova.










Des racines depuis l’Antiquité





Le nom des chants de Noël,
« colinde » en roumain, est d’origine latine et provient du mot latin
« calendae », lui-même dérivé du verbe « calare », qui veut
dire « annoncer, donner des nouvelles ».


L’histoire des chants de Noël plonge ses
racines dans l’Empire romain, dans sa période préchrétienne. Les Romains
appelaient « calendae » les premiers jours de chaque mois. A cette
occasion, ils organisaient des festivités en l’honneur de certains dieux,
allant de maison en maison et chantant une sorte de chants rituels à caractère sacré.
Cette coutume était également pratiquée au début ou à la fin de l’année
agricole, et même en automne, pendant la période des récoltes. En particulier, les
festivités des « calendae » de janvier étaient très connues et dédiées
à l’ancien dieu latin, Ianus Geminus, celui aux deux visages.


Il faut préciser que la célébration de la
Nativité n’avait pas toujours lieu le 25 décembre. En fait, jusqu’au milieu du
quatrième siècle, les chrétiens fêtaient la Nativité le même jour que la
Théophanie, c’est-à-dire le 6 janvier. Ce n’est qu’au milieu du IVe siècle que
l’Eglise a établi la date du 25 décembre comme jour de célébration de la fête
de la Nativité, afin d’effacer le souvenir d’une grande fête païenne dédiée au
culte solaire. L’histoire racontée par les Evangile est chantée dans les chants
de Noël. L’ange Gabriel a annoncé à Marie qu’elle donnerait naissance à un
garçon et qu’elle l’appellerait Jésus, car il serait le fils de Dieu et
régnerait sur Israël pour toujours. Alors que l’heure de la
naissance approchait, le souverain de l’Empire ordonna un recensement. C’est
pour cette raison que Joseph, fiancé de Marie, emena Marie à Bethléem,
l’ancienne ville de David, d’où il était originaire. Jésus est né à
Bethléem : comme il n’avait nulle part où séjourner dans la ville,
l’enfant est né dans une étable. Les anges ont annoncé sa naissance à un groupe
de bergers qui l’ont adoré.

Conformément à la loi juive, Marie et Joseph ont
présenté l’enfant Jésus au Temple de Jérusalem 8 jours après sa naissance, où
deux personnes présentes dans le temple, Siméon le prophète et Anne la
prophétesse, ont rendu grâce à Dieu qui avait envoyé son salut. Joseph et Marie
s’en sont ensuite retournés à Nazareth. Après
la naissance, qui a eu lieu sous le règne du roi Hérode le Grand, trois mages
de l’Est sont venus à Jérusalem, demandant où ils pourraient trouver l’enfant,
car ils avaient vu son étoile. Hérode, apprenant des prêtres et des scribes qu’un
nouvel empereur serait né à Bethléem selon la prophétie, y envoya les Mages,
leur disant de revenir vers lui et de lui révéler le lieu de la naissance. Les
mages ont offert de l’or, de l’encens et de la myrrhe à l’enfant, mais un ange
les a avertis en rêve de ne pas retourner vers Hérode. Quand Hérode a compris
que les Mages l’avaient trompé, il fit tuer tous les enfants de moins de deux
ans dans et autour de Bethléem. Un ange est apparu à Joseph dans un rêve et l’a
conseillé de prendre l’enfant et sa mère et de fuir en Egypte. Ils y sont restés
jusqu’à la mort d’Hérode. Après cet événement, un ange est apparu à Joseph dans
un rêve et lui a dit de retourner en Israël avec l’enfant et sa mère, mais le
fils d’Hérode était souverain de Judée et, après avoir été averti dans un rêve
Joseph partit en Galilée, à Nazareth.


C’est ainsi que les vieux chants païens ont
été christianisés, leurs textes étant liés à l’histoire biblique, notamment à
l’incarnation et à la naissance de Jésus Christ, adoré comme Fils de Dieu
incarné et Sauveur du monde. Le chemin des « calendae » aux chants de
Noël a donc été parcouru en plusieurs siècles.






Des « calendae » aux chants de Noël





Signifiant « Jésus brille sur
tous
» en latin, « Jesus refulsit omnium » est l’un des chants
de Noël les plus anciens. Il a été attribué à saint Hilaire de Poitiers (ca.
315-368). L’hymne décrit les mages porteurs de cadeaux arrivant de l’est pour
trouver le nouveau-né Jésus. Un autre chant également provenant du quatrième
siècle est « Du cœur du Père engendré », en latin « Corde natus
ex parentis
», du poète romain Aurelius Prudentius (348-405/413).


Des sources datant du 9e et du 10e siècles
font référence aux chants de Noël dans des monastères d’Europe du Nord. Bernard
de Clairvaux (ca. 1090-1153) a composé une séquence de strophes rimées. Toujours
au 12e siècle, le moine parisien Adam de Saint-Victor a utilisé la musique des
chansons populaires, introduisant quelques séquences pour des chants de Noël.


« Orientis Partibus », également
connu sous le nom de « La fête de l’âne », est un chant français de
la fin du 12e siècle. Il est attesté dans le manuscrit Edgerton 2615, qui a été
produit à Beauvais, en France, vers le deuxième quart du 13e siècle, très
probablement entre c. 1227 et c. 1234. Ce chant a été écrit pour être joué dans
le cadre de la « Fête de l’âne », qui avait lieu chaque année le 14
janvier pour célébrer la fuite de Joseph, Marie et de leur enfant Jésus en
Egypte. Un détail intéressant est sa composition en deux langues différentes.
Les strophes du chant sont en latin, mais le refrain est en français.


Des sources écrites vers le 13e siècle font
référence aux chants de Noël sur les territoires d’Italie, d’Allemagne ou bien
de la France d’aujourd’hui. Ils peuvent être apparus sous l’influence de
François d’Assise (1181-1226), qui les a également introduits dans les services
religieux. Ils ont également été utilisés dans des pièces de théâtre. En
Angleterre, au 15e siècle, 25 chants de Noël étaient publiés pour Noël et
chantés de maison à maison, une coutume préservée jusqu’à aujourd’hui.


Dans le monde byzantin, les sources les plus
anciennes et accessibles avec des références aux chants de Noël datent du 11e
siècle. Le chant « Le Dieu éternel est descendu », « Άναρχος
Θεός καταβέβηκε », est le chant de Noël byzantin le plus ancien dont les
vers comme la musique sont connus. Il est associé à la ville de Kotyora sur la
mer Noire (aujourd’hui Ordu, en Turquie). Presque tous les chants de Noël sont
écrits en utilisant le vers commun appelé « dekapentasyllabos » (soit
un iamb de 15 syllabes avec une césure après la 8ème syllabe), ce qui signifie
que leur formulation et leurs airs sont facilement interchangeables. Cela a
donné naissance à un grand nombre de variantes locales dans les régions de la
Grèce d’aujourd’hui, mais aussi des pays des Balkans actuels, dont certaines
parties se chevauchent ou se ressemblent souvent dans les vers, la mélodie ou
les deux. Néanmoins, leur diversité musicale reste très large : par
exemple, les chants de Noël de la région d’Epire sont strictement
pentatoniques, à la manière des polyphonies pratiquées dans les Balkans, et
accompagnés de clarinettes et de violons. De l’autre côté, sur l’île de Corfou,
par exemple, le style est une polyphonie harmonique tempérée, accompagnée de
mandolines et de guitares. D’une manière générale, le style musical de chaque
chant suit de près la tradition musicale séculaire de chaque région.




Les chants de Noël sur le territoire actuel de la
Roumanie





Sur le territoire de la Roumanie, il n’y a
pas de données exactes connues pour attester de l’âge des chants de Noël. Les
références les plus anciennes remontent au 17e siècle. Un document
datant de 1647 fait mention du pasteur Andreas Mathesius, provenant du village
de Cergăul Mic, dans le département d’Alba d’aujourd’hui, en Transylvanie, qui
se plaint d’une coutume courante parmi les Roumains orthodoxes : il s’agissait
d’aller chanter de maison en maison la nuit de Noël. Un autre témoignage sur
les chants de Noël de Munténie apparaît au même siècle : dans ses notes de
voyage, l’archidiacre Paul d’Alep précise que la coutume des chants de Noël
était pratiquée aussi bien la veille de Noël que le jour de Noël, lors des
foires en Munténie. Des chanteurs, accompagnés de violoneux, annonçaient la
naissance de Jésus. En ce qui concerne la région de la Moldavie, le souverain
moldave Dimitrie Cantemir (1673-1723), dans son œuvre Descriptio Moldaviae (en latin « La description de la
Moldavie
»), fait référence à la tradition des chants de Noël. Dans un
autre ouvrage, appelé La Chronique de la
vieillesse romano-moldo-valaque
, le même auteur émet une hypothèse
intéressante sur l’origine du refrain « Leru-i Ler », présent dans
beaucoup de chants même aujourd’hui, le reliant au nom de l’empereur romain
Aurélien (215-275). Alors, depuis le 17e siècle, dans les trois principautés
roumaines, les sources attestent que les chants de Noël étaient une tradition déjà
bien enracinée.


Un premier recueil de chants de Noël a été
réalisé au 17e siècle, à la fin d’un livre appelé « Catavasier »
(soit un livre de culte du rite byzantin utilisé dans l’Eglise orthodoxe, qui
contient les hymnes de la Résurrection et d’autres chants des vêpres des samedi
soir et des matines du dimanche, en suivant les 8 voix utilisés dans le chant
byzantin) imprimé à Râmnic, en 1747. Les chants de Noël insérés étaient
précédés d’une brève note explicative : « Là, à la fin du livre, on
met aussi les vers que les enfants chantent lorsqu’ils marchent avec l’étoile,
le soir de la Nativité du Christ. Et, cher lecteur, sache que ce que tu liras
et tu compteras concernant la poétique nous avons imprimé comme nous les avons
trouvés, comme les gens les chantaient
».


A part l’annonce de la Nativité du Seigneur, les
chants de Noël ont aussi le rôle de formuler des vœux de santé, d’abondance et
de paix pour la nouvelle année.


Présents dans toute la tradition chrétienne,
les chants de Noël illustrent certains aspects de la vie du Jésus Christ sur
terre. Certains parlent de la joie de Sa Nativité, tandis que d’autres
rappellent aussi des événements tristes qui, selon la Bible, ont eu lieu après
la naissance de Jésus. Parmi eux, la mise à mort des 14 000 bébés par le roi
Hérode.


Sur le territoire de la Roumanie, les chants
de Noël sont très variés.

Beaucoup commencent avec la prière des chanteurs
souhaitant être accueillis dans la maison des hôtes ou récompensés pour leur
effort de voyager de maison en maison par mauvais temps et de chanter. D’autre
chants rappellent aussi l’hôte parti à la chasse, racontent les aventures des
chasseurs, du berger et de la bergère, des filles, des garçons, des familles,
du Nouvel An, et de l’agriculture.



Dans les dernières décennies, le travail minutieux de
folkloristes, théologiens et musicologues s’est achevé par la composition de
nombreux recueils de chants de Noël. Reconnaissant la valeur inestimable des
chants de Noël roumains, ainsi que la tradition des chants de Noël en groupe,
en 2013 l’UNESCO a inclus cette ancienne coutume dans le patrimoine immatériel
de l’humanité.

https://api.soundcloud.com/tracks/1701917406

RadioRomaniaInternational · Histoire des chants de Noël en Roumanie et dans le monde
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