Défaite vers la fin de la même année par les Puissances Centrales, l’armée roumaine se voyait obligée d’abandonner la partie sud du territoire national, soit l’ancienne province historique de Valachie, avec la capitale, Bucarest, pour se retirer à l’Est
La première guerre mondiale a vu la Roumanie rejoindre le camp des Alliés à l'été 1916. Défaite vers la fin de la même année par les Puissances Centrales, l'armée roumaine se voyait obligée d'abandonner la partie sud du territoire national, soit l'ancienne province historique de Valachie, avec la capitale, Bucarest, pour se retirer vers l'Est, en Moldavie, où elle comptait poursuivre le combat, aux côtés du million de militaires russes, mobilisés pour l'occasion. L'année suivante pourtant, en 1917, la Russie était frappée par des troubles internes qui allaient déboucher sur la Révolution bolchévique du mois d'octobre. L'armée russe, secouée à son tour par ces bouleversements, était dans un état de déliquescence.
L'historien Șerban Pavelescu, chercheur à l'Institut d'études politiques de Défense et d'Histoire militaire, et auteur du volume intitulé « L'allié ennemi », vient d'éditer les mémoires inédits des deux généraux russes, Nikolai A. Monkevitz și Aleksandr N. Vinogradski, participants au front roumain durant les années 1917- 1918. A travers la plume de ces généraux se dessine l'atmosphère qui régnait pendant ces années-là, et c'est l'occasion d'apprendre beaucoup de choses sur la nature des relations humaines qui avaient cours en cette période, ou encore sur les nouvelles du front. Șerban Pavelescu explique la délicate position tenue par la Roumanie, prise en tenaille entre deux géants, l'ennemi allemand et l'allié russe : « La Roumanie s'était montrée d'emblée réticente à s'allier à la Russie. Il y avait un certain passif, issu de l'histoire de cette relation compliquée. La Roumanie s'était d'abord liée par un pacte secret à l'Autriche-Hongrie et à l'Allemagne en 1883, l'objectif en étant de contrer justement le poids de ce voisinage menaçant que représentait le colosse russe. D'un autre côté, une fois la Première guerre mondiale éclatée, nous voulions nous allier à la France et à la Grande-Bretagne et, à partir de là, par le jeu des alliances, la Roumanie s'est vu obligée à s'allier aussi avec la Russie. »
L'aventure d'une alliance pas comme les autres, qui évoluait sur la corde raide, parfois sous respiration artificielle, maintenue en vie grâce aux pressions de la France, qui avait besoin de cette alliance sur le front de l'Est. Șerban Pavelescu : « Les relations entre les deux commandements militaires, roumain et russe, ont été correctes au départ, même si elles n'ont pas été dépourvues d'aléas. Mais l'alliance militaire avait plutôt bien fonctionné, sans défection majeure, et cela jusqu'à la révolution russe du mois de février 1917. Certes, la présence et les démarches entreprises en ce sens par la Mission militaire française, dirigée par le général Henri Mathias Berthelot, ont compté pour beaucoup. Car la Mission française avait, d'une part, entrepris de former les contingents de l'armée roumaine, mais elle faisait beaucoup aussi en matière de bonnes offices, pour faire fonctionner au mieux l'alliance roumano-russe. La Mission française surveillait le transport des équipements, des munitions et des fournitures militaires, qui devaient nourrir le front, en arrivant par une route détournée, qui traversait la Russie, depuis la ville-port de Mourmansk. Et des membres de la Mission françaiseétaient présents tout au long de cette route, à chaque nœud ferroviaire, s'inquiétant de ce que le matériel arrive au complet à destination. »
Malgré tout, les suspicions roumaines et l'arrogance russe, qui entichaient cette alliance de raison, n'avaient pas disparu comme par enchantement pour autant. Șerban Pavelescu :« Lorsqu'ils étaient entrés en guerre, les Russes l'avait dit haut et fort aux Français : pour eux, le front roumain était un non-sens, car indéfendable. La demande roumaine et l'engagement pris par les Alliés de maintenir en vie le front sud leur semblaient carrément intenables. Les Russes avait d'ailleurs fixé leur ligne de front idéale le long de la rivière Siret, excluant du coup le territoire roumain. Ensuite, il est clair que l'armée russe avait réagi avec beaucoup de lenteur, au moment où l'armée roumaine était aux prises avec les armées ennemies dans les Carpates, ensuite pour tenir le front sur les rivières Jiu et Olt. Qui plus est, les Russes montrèrent tardivement le bout de leur nez lors de la bataille de Bucarest, alors que pour la défense de la Dobroudja ils n'avaient envoyé que quelques unités de sacrifice, parmi lesquelles s'était notamment distinguée l'héroïque division serbe, qui a perdu la moitié de ses effectifs, sans pour autant arrêter l'avancée de l'ennemi. »
Et s'il était évident que l'alliance roumano-russe n'était pas toujours au beau fixe, les volumes de mémoires des deux généraux montrent la bonne préparation des militaires russes engagés sur ce front, une armée qui disposait, paraît-il, de nourriture, d'armement et de munitions, et qui avait été préservée des conséquences des pandémies de grippe espagnole et de typhus ayant sévi à l'époque. Mais la révolution du mois de février 1917 allait tout bouleverser. La propagande bolchévique avait commencé à faire son lit parmi les soldats russes, conduisant à la désorganisation des unités et de la chaîne de commande, sur fond de délitement de la discipline militaire. Et c'est ainsi que l'offensive lancée par les armées allemande et austro-hongroise à l'été 1917 sera arrêtée finalement par les efforts surhumains déployés par la seule armée roumaine, alors que dans le Nord, en Ukraine, des unités entières de l'armée russe désertaient et rendaient leurs armes face à l'ennemi. Șerban Pavelescu décrit l'impact de la révolution russe sur les relations entre les deux alliés, devenus très vite ennemis :« L'armée russe devient du jour au lendemain un allié très peu fiable et peu sûr pour les Roumains. Pas plus tard qu'à l'automne 1917, l'armée russe arrive à être carrément perçue comme armée ennemie par les autorités roumaines. En effet, une grande partie des troupes russes se trouve derrière le front, concentrée près de la ville de Iaşi, dans la zone de Nicolina. Et là, les agissements des bolcheviques, des comités révolutionnaires qu'ils avaient montés suite à la révolution d'octobre 1917, menaçaient directement les structures politiques et l'administration roumaine, refugiés dans la ville de Iasi, après l'occupation de Bucarest par les troupes des Puissances centrales, fin 1916. L'hiver 1917/1918 verra les troupes roumaines obligées de réagir à l'encontre de son ancien allié, pour le forcer à quitter le territoire national, et l'empêcher d'emporter les armes et les munitions destinées au front. Et c'est ainsi qu'en 1918, l'armée roumaine mènera plusieurs opérations de guerre contre des bandes de soldats russes, devenues entre temps des milices révolutionnaires, occupées à mettre à feu et à sang les zones qu'elles occupaient. »
La fin de la guerre trouvera la Roumanie et la Russie, anciennement alliées, épuisés. Mais elle les retrouvera surtout engagées dans des voies de société différentes. L'une s'engagera sur la voie de la dictature communiste, l'autre sur celle de la démocratie libérale. (Trad. Ionuţ Jugureanu)
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