...poète, essayiste, traducteur, membre de l'Académie roumaine et homme politique
Poète, essayiste, traducteur, membre de l'Académie roumaine et homme politique, Ștefan Augustin Doinaș, dont on vient de marquer le centenaire de sa naissance, est notamment connu pour son poème « Mistrețul cu colți de argint/Le sanglier aux crocs d'argent », longtemps étudié en cours de roumain par les élèves de Terminale.
Ștefan Popa, qui s'est choisi le nom de plume Ștefan Augustin Doinaș, est né le 26 avril 1922, dans une famille aisée, dans le département d'Arad (ouest) ; il s'est éteint le 25 mai 2002 à Bucarest, à l'âge de 80 ans. Durant ses années de lycée, dans la ville d'Arad, il se familiarise avec les œuvres d'écrivains roumains importants des XIXe et XXe siècles, tels que Vasile Alecsandri, Dimitrie Bolintineanu, Mihai Eminescu, Tudor Arghezi, ainsi qu'avec celles de poètes français, comme Stéphane Mallarmé et Paul Valéry. En 1941, il se rend à Sibiu, pour suivre les cours de médecine de l'Université de Cluj, qui y avait trouvé refuge après 1940, lorsque le nord de la Transylvanie avait été cédé à la Hongrie. Mais il arrête les études de médecine et se tourne vers la Faculté des Lettres et de Philosophie, dont il obtient le diplôme final en 1948. Ștefan Augustin Doinaș enseigne le roumain entre 1948 et 1955, lorsqu'il abandonne la carrière enseignante et déménage à Bucarest. En 1956, il rejoint la rédaction de la revue « Teatru ». En 1957, il est condamné à un an de prison, ce qui lui fait perdre son emploi et lui vaut aussi une interdiction de publier, qui dure jusqu'en 1963. Après la prison, il réussit à se faire embaucher à la revue « Lumea », grâce à l'intervention de George Ivașcu, un homme de culture influent de l'époque. En 1969, Ștefan Augustin Doinaș rejoint la rédaction de « Secolul 20 », une des meilleures revues littéraires de Roumanie, à laquelle il restera lié jusqu'à la fin de sa vie. Entre 1964 et 2000, il a publié treize recueils de poèmes existentialistes, six volumes de critique littéraire et d'essais, deux livres de littérature pour enfants, une pièce de théâtre et un volume de prose.
Le poète et historien de la littérature Ion Pop a rendu hommage à la personnalité de Ștefan Augustin Doinaș, précisant que celui-ci pouvait inventer un langage poétique en s'appuyant sur la rigueur des sciences exactes et sur la liberté d'un jeu sans contraintes. « À une première vue, la création poétique de Ștefan Augustin Doinaș semble très éloignée du monde du jeu, que de nombreuses voix considèrent comme un espace dédié à des activités libres et dépourvues de responsabilité envers le sérieux existentiel. Doinaș est lui aussi un artisan raffiné du verbe et son image, retenue dès ses débuts par la mémoire du lecteur, a été plutôt celle d'un auteur de vers soumis aux rigueurs classiques, strictement contrôlées du point de vue intellectuel. Lui, il est « l'homme au compas », selon le titre d'un de ses livres importants. »
Ștefan Augustin Doinaș a également été un traducteur réputé, à qui l'on doit trente volumes de poèmes traduits en roumain. Il a traduit deux chefs-d'œuvre de la littérature universelle, « Faust » de Johann Wolfgang Goethe et « Ainsi parla Zarathustra » de Friedrich Nietzsche, ses traductions étant considérées comme des monuments de recréation des deux œuvres en roumain. Par ailleurs, les livres de Ștefan Augustin Doinaș ont été traduits en une dizaine de langues européennes, dont le français, l'anglais, l'allemand, l'italien et l'espagnol. L'Académie roumaine lui a ouvert ses portes en 1992.
Ștefan Augustin Doinaș a fait partie d'une génération de Roumains traumatisés par le régime communiste. Il s'y est confronté tout de suite après l'installation de ce régime en Roumanie, à la fin des années 1940, lorsque ses parents ont été qualifiés de « chiaburi », équivalent des « Koulaks » en URSS, c'est-à-dire des « exploiteurs des paysans », selon l'idéologie marxiste-léniniste. L'année 1957 apporte un grand changement dans la vie de Ștefan Augustin Doinaș. Après la mort de Staline en 1953, Doinaș, comme tous les Roumains d'ailleurs, s'attendait à de grands changements qui ne se sont pas produits. Après la liquidation de la révolution anticommuniste de Hongrie, en 1956, Ștefan Augustin Doinaș est arrêté le 3 février 1957 et il est condamné à un an de prison pour « non-dénonciation ». Il avait reçu la visite de l'écrivain Marcel Petrișor, qui avait parlé de la révolution anticommuniste hongroise et d'une éventuelle solidarisation des Roumains avec les changements mis en place de l'autre côté de la frontière. Arrêté et torturé, Petrișor avait avoué aux enquêteurs les noms de ses interlocuteurs. Après la chute du régime communiste en 1989, l'opinion publique roumaine allait apprendre que le prisonnier politique Ștefan Augustin Doinaș, lui-même victime d'une dénonciation, avait à son tour dénoncé deux autres écrivains, Ion Caraion et Ion Omescu, arrêtés en 1957 également en lien avec la révolution de Hongrie ; Doinaș avait été le témoin à charge. Mis en liberté une année plus tard, Ștefan Augustin Doinaș épouse Irinel Liciu, danseuse à l'Opéra de Bucarest, le 8 avril 1958. Leur mariage allait durer 44 ans. En 2002, quelques heures après le décès du poète, Irinel Liciu avale le contenu d'une boîte de somnifères et se donne la mort.
Ștefan Augustin Doinaș s'est aussi impliqué dans la vie politique. Après 1989, il a signé des dizaines d'articles de presse anticommunistes virulents et il a adhéré au Parti de l'Alliance civique. Il a rempli un mandat de sénateur de 1993 à 1996. (Trad. Ileana Ţăroi)