30 années après la chute du communisme, les coupables des morts enregistrées après le 22 décembre 1989 n'ont toujours pas été traduits en justice.
Instauré de la même façon dans tous les pays de l'Europe centrale et de l'Est, le communisme a été renversé différemment, selon les pays. L'on peut ainsi facilement différencier, d'une part, la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie, où le régime est renversé presque pacifiquement, et sans faire des victimes. La RDA et la Bulgarie ont connu, elles, des scènes de violence, plutôt contenue et limitée néanmoins. Enfin, d'amples violences, soldées par 1142 morts, 3138 blessés et 760 arrestations endeuillèrent la chute du communisme en Roumanie. Enfin, le cas de la Yougoslavie demeure une page plus noire encore de ce que l'on peut appeler la chute des régimes communiste en Europe centrale et de l'Est.
Depuis lors, 30 années se sont écoulées. Des années pendant lesquelles les chercheurs et les historiens se sont efforcés de comprendre le particularisme roumain, les sources et les raisons de cette violence qui a fauché tant de vies. L'historien Dragoș Petrescu, professeur à la Faculté des Sciences politiques et administratives de l'Université de Bucarest, précise au micro de Radio Roumanie : « Il est forcément bien plus aisé d'analyser les tenants et les aboutissants du moment a posteriori. Un élément ressort pourtant très vite et de manière évidente : le passage s'est fait pacifiquement dans les Etats communistes qui se trouvaient dans le giron de Moscou. Plus les régimes locaux s'étaient éloignés de la politique moscovite, et d'autant plus violente fut leur chute. Il y a, certes, la Roumanie, mais aussi l'Albanie et la Yougoslavie. La Yougoslavie a terriblement souffert, car la chute du communisme s'est accompagnée d'une guerre civile et d'un processus d'épuration ethnique, des choses vraiment effrayantes. »
Il faut dire aussi que la violence a été l'élément constitutif caractérisé de tous les régimes communistes. Cela a été notamment le cas du régime communiste roumain de Nicolae Ceausescu, qui a pu exercer son pouvoir absolu et discrétionnaire sur la société roumaine. Le professeur Dragoș Petrescu croit comprendre ce qui s'était passé en Roumanie, fin 1989. « Je pense qu'il existe deux raisons à cette sortie du communisme par la violence en Roumanie, mais également en Albanie et en Yougoslavie. Pour la Roumanie, il y a eu la solidarité de l'élite communiste, léguée à faire barrage aux revendications populaires, et à maintenir le statu quo. Au mois de novembre 1989, lors du dernier congrès du parti communiste roumain, Ceausescu s'était fait réélire à l'unanimité, ne l'oublions pas. A l'époque, le régime communiste avait déjà cédé en Pologne, en Hongrie, en Allemagne de l'Est, et il était très mal en point en Tchécoslovaquie. Malgré tout, les communistes roumains, par peur, par opportunisme, par servilisme, misent toujours sur Ceaușescu. Cela montre à l'évidence l'inexistence de la moindre faction réformiste au sein du parti. C'était pire qu'en Bulgarie voisine, où tout de suite après la chute du Mur de Berlin, Todor Jivkov se voit remplacer par son ancien ministre aux Affaires étrangères, Petar Mladenov, un gorbatchéviste modéré. »
La deuxième explication tient à la politique d'indépendance menée par certains régimes satellites par rapport à la politique moscovite. Des leaders locaux, à l'instar de Ceaușescu, prenaient leurs distances par rapport au pouvoir soviétique. Pour ce qui est de Ceausescu, il marque le coup le 21 août 1968, lorsqu'il condamne l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie, raconte Dragoș Petrescu. « Cette politique d'indépendance cultivée par Ceausescu et par l'élite dirigeante roumaine à compter du 21 août 1968 a représenté leur moment de grâce. Ce fut un coup de maître. Car, en faisant cela, ils sont arrivés à retrouver une légitimité aux yeux de la nation, à ce moment. C'était une période faste aussi sur le plan économique, il y avait un certain relâchement du dogme communiste, les voyages à l'étranger ont été permis à compter de 1967, l'Année internationale du tourisme, lorsque la législation qui régissait le voyage à l'étranger a été assouplie. Le régime roumain se distingue par nombre de ses particularismes, ce qui a sans doute eu des conséquences sur la manière dont le régime a fini. »
Le tournant vers l'autonomie politique pris par Bucarest à l'égard de Moscou, autonomie devenue un véritable mantra de la politique étrangère de Ceausescu, a isolé de fait la Roumanie. Cette dernière se voit alors forcée de réorienter son attention vers le Tiers monde, et se fermer au plan interne, dans les années 80, allant de plus en plus vers un régime flairant le stalinisme des années 50. Un stalinisme paralysant qui, en s'éloignant de la politique réformiste menée au même moment par Mikhaïl Gorbatchev, avait un effet paralysant au plan intérieur, explique Dragoș Petrescu : « L'indépendance de Bucarest par rapport à la politique soviétique et la dépendance de l'élite communiste roumaine face à la personne du secrétaire général du parti a laissé croire à Ceausescu qu'il pouvait régner en maître autocrate. Et c'est ce qu'il a fait lorsque la révolte de décembre 1989 a débuté dans la ville de Timisoara. Il a donné l'ordre de tirer, avec des balles réelles, sur la foule. Puis il a ordonné de faire disparaître les cadavres des victimes. Et, en effet, les dépouilles ont été transportées à Bucarest, incinérées et jetées aux égouts. C'était inouï, mais cela montre à profusion que la séparation de la Roumanie de la dictature communiste n'allait pas pouvoir s'accomplir sans effusion de sang. »
Au mois de décembre 1989, le régime communiste roumain mené par Nicolae Ceaușescu s'écroule avec fracas, dans une débauche de violence. Mais les coupables des morts enregistrées après le 22 décembre 1989 n'ont toujours pas été traduits en justice, 30 années après la chute du communisme. (Trad. Ionuţ Jugureanu)
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