Inquiétant : 46 % des enfants affirment subir souvent des châtiments corporels dans leur famille, alors que seuls 28 % des parents reconnaissent avoir recours à la violence.
Difficile de rassembler des données en temps de pandémie. Pourtant, l’organisation Salvați Copiii (Sauvez les enfants) a réussi à mener à bien ses recherches sur les violences à l’encontre des mineurs, et ce grâce aux réponses d’enfants et de parents. Rien de surprenant, les enfants et les adultes ont des points de vue divergents sur le sujet. Par exemple, 46 % des enfants affirment subir souvent des châtiments corporels dans leur famille, alors que seuls 28 % des parents reconnaissent avoir recours à la violence. Le même écart apparaît dans les résultats des études menées en 2001 et 2013. Le sociologue Ciprian Grădinaru nous en apprend davantage :
« On constate une légère baisse des agressions verbales, qui reste néanmoins relativement élevée. Certains éléments méritent toutefois d’être mentionnés. Même si elle reste élevée, la violence physique, soit les coups frappés à la main sans produire de traces sur l’enfant a tendance à diminuer, passant de 85 % en 2001, à 46 % en 2021, si l’on en croit les réponses fournies par les enfants. Un aspect semble particulièrement inquiétant : la violence physique (coups ou utilisation d’objets) suite à laquelle il reste des traces sur le corps de l’enfant n’a pas diminué et semble même plus élevée en 2021 qu’elle ne l’était en 2013. Même constat pour l’abus émotionnel ou les menaces. On observe la même tendance pour la négligence de l’enfant, l’exploitation des enfants et les abus sexuels sur mineurs. Selon les réponses des enfants, seul le recours à de légères violences physiques est en baisse. Le plus probablement, c’est ce que nous appelons la reconnaissance du phénomène. Les parents semblent prendre progressivement conscience qu’il n’est pas bien de frapper ou de crier sur un enfant. Si l’on en croit les données de 2013, le pourcentage était bien plus faible. Selon les réponses apportées par les enfants au sujet de leur environnement éducatif, on constate une baisse significative de la violence physique, passant de 30 % en 2001 à 5 % en 2021. On ne peut malheureusement pas en dire autant des violences psychologiques dont le pourcentage reste élevé encore aujourd’hui. »
A quoi correspond exactement le terme d’abus émotionnel ? Le sociologue Ciprian Grădinaru explique :
« L’abus émotionnel (on emploie de gros mots à la maison ou on est insulté) atteint 12 %. Près de 90 % des enfants interrogés racontent être réprimandés par leurs parents. La moitié affirment être régulièrement témoins de querelles entre les deux parents, ce qui peut représenter une autre forme d’abus émotionnel. Deux enfants sur dix affirment que leurs parents ne les laissent pas jouer avec d’autres enfants. Un pourcentage similaire affirment qu’au moins l’un des deux parents consomme trop d’alcool. Une autre forme plus grave d’abus consiste à ne pas nourrir un enfant. Si l’on creuse un peu plus la question, on constate qu’un enfant sur trois affirme ne pas manger ou ne pas manger des repas préparés chez lui. Plus de deux enfants sur dix affirment ne pas consulter de médecin lorsqu’ils sont malades. D’autres racontent rester seuls chez eux la nuit pour s’occuper de leurs petits frères ou petites sœurs. Certains affirment rester seuls chez eux pendant plusieurs jours. On parle ici davantage de facteurs socio-économiques que de comportements ou de choix éducationnels des parents. »
Le pourcentage relatif aux abus sexuels reste aussi très inquiétant : environ 3 % des parents interrogés affirment que leur enfant a été victime d’abus sexuels au cours de l’année passée. Pour deux tiers d’entre eux, l’agresseur est un inconnu, et 2,9 % des adolescents déclarent avoir été victimes de viol. Les experts estiment toutefois que ce chiffre pourrait être sous-estimé. Ciprian Grădinaru nous en dit plus :
« Près de deux à trois enfants sur dix a déjà vu à la télévision des images à caractère sexuel. Si l’on part du principe qu’il s’agit d’un tabou, on peut imaginer que ces chiffres sont en fait plus élevés. Ce n’est que la partie immergée de l’iceberg. Près de 7 % des enfants affirment toutefois avoir déjà vu, dans la vie réelle, des adultes dans des poses sexuelles. Ils racontent que des vidéos ou des images les montrant nus ou dans des positions sexuelles ont été postées ou envoyées sur Internet. Ce pourcentage ne semble pas diminuer pour le moment. »
Quel rôle joue l’école dans la diminution ou dans la prévention de ce type d’abus ? Les psychologues scolaires, malheureusement trop peu nombreux, peuvent nous apporter une réponse. C’est le cas d’Aura Stănculescu qui partage son expérience :
« Nous cherchons à empêcher ces comportements. C’est en effet plus simple que d’avoir à les déconstruire plus tard pour rééduquer les enfants ensuite. C’est pourquoi en classe nous travaillons beaucoup sur la communication. Nous leur apprenons à communiquer de manière pertinente. Ainsi, ils apprennent à s’exprimer, à parler de leur malaise, et surtout de la cause de ce malaise. Nous leur apprenons à le verbaliser et à se tourner vers la personne qui pourra les aider à résoudre leur problème. Un enfant qui s’exprime est un enfant qui a appris à se défendre. Ce qui nous intéresse, c’est que les enfants ne restent pas dans ce rôle de victime, car tout traumatisme peut s’aggraver, et l’enfant risque de devenir un adulte malheureux qui se mettra à son tour dans une posture d’agresseur. Nous cherchons à instaurer un environnement sain à l’école. »
Pour ce faire, il faut aussi que la société évolue dans son ensemble, car nous ne pouvons continuer à vivre dans un monde où persiste la tradition du « qui aime bien châtie bien ».
(Trad. : Charlotte Fromenteaud)