Personnalité assez singulière de la classe politique roumaine de l'entre-deux-guerres. Enseignant de formation, caractère intègre et têtu, infatigable défenseur des plus défavorisés, il représente au parlement de l'époque les intérêts des paysans.
Ion Mihalache a été une personnalité assez
singulière de la classe politique roumaine de l'entre-deux-guerres. Enseignant
de formation, caractère intègre et têtu, infatigable défenseur des plus
défavorisés, il représente au parlement de l'époque les intérêts des paysans,
souvent très pauvres, et des petits propriétaires terriens.
Né le 3 mars 1882 à Topoloveni, dans le
département d'Argeş, à une centaine de kilomètres de Bucarest, Ion Mihalache est
issu d'une famille d'agriculteurs modestes, ce qui ne l'empêchera pas de suivre
des études pour devenir instituteur à l'âge de 19 ans, en 1911. Lors de
l'entrée, en 1916, de la Roumanie dans la Grande Guerre, il se porte volontaire.
Promu officier, Ion Mihalache dirigera sa compagnie lors des campagnes
militaires de 1916 et 1917, et sa vaillance ne fera jamais défaut. Sa bravoure
sera reconnue par l'État, qui lui confère l'ordre « Michel le Brave », la plus
prestigieuse distinction militaire roumaine.
Dans les années de l'après-guerre, il
prend d'abord part à l'organisation du référendum qui débouche sur l'union de
la Bessarabie au royaume de Roumanie, avant de fonder le Parti paysan, défenseur
déclaré des intérêts des petits agriculteurs, une catégorie sociale largement
majoritaire dans la Roumanie d'alors, tout autant que largement
sous-représentée au niveau politique. Le roi Ferdinand en personne s'était d'ailleurs
engagé à mettre en place une ample réforme agraire, dans un célèbre discours
tenu en 1917.
Dès 1919,
à l'occasion des premières élections organisées dans la Roumanie de
l'après-guerre, le Parti paysan d'Ion Mihalache entre en coalition avec le
Parti national roumain de Transylvanie, pour former le gouvernement qui sera dirigé
par Alexandru Vaida-Voevod. Mihalache assume alors le portefeuille de ministre
de l'Education nationale, promouvant la loi qui porte son nom et grâce à
laquelle les écoles du réseau agricole reçoivent 100 hectares de terrain, alors
que les écoles horticoles en sont dotées de 25 hectares, tout cela pour
faciliter l'application pratique des connaissances théoriques dispensées à
leurs élèves.
En 1926, le Parti national paysan, issu
de l'alliance de ces deux partis, deviendra la principale force d'opposition,
face à un Parti national libéral, abonné de longue date au pouvoir. Iuliu
Maniu, ancien leader du Parti national de Transylvanie, occupera la présidence
du parti, alors qu'Ion Mihalache en sera le vice-président. Le nouveau parti
s'imposera rapidement dans les urnes, plébiscité par plus de 77% de
l'électorat, pour prendre la présidence du Conseil le 10 novembre 1928. Le
nouveau gouvernement va largement promouvoir les intérêts des petits
agriculteurs et le développement de l'agriculture dans son ensemble. Ion
Mihalache occupe alors à nouveau le poste de ministre de l'Agriculture et des
Domaines publics jusqu'en 1930, pour prendre ensuite la tête du ministère de
l'Intérieur jusqu'à la chute du gouvernement national-paysan, en 1933.
Lorsqu'en 1941, la Roumanie entre dans la Deuxième guerre
mondiale, Ion Mihalache, alors âgé de 59 ans, se retrouve mobilisé et envoyé au
front. Il sera néanmoins démobilisé assez vite sur l'ordre du maréchal Ion
Antonescu, il Duce roumain.
Dans une interview de 1996, conservée dans les archives du
Centre d'histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, le général Constantin
Durican, aide de camp du général Ioanițiu, chef de l'Etat major de l'armée
roumaine de l'époque, remémorait le moment où la nouvelle direction pro
allemande du pays avait tenté de coopter le leader national-paysan à ses vues.
Constantin Durican : « Ion Mihalache avait reçu
le prestigieux ordre « Michel le Brave » pour ses faits d'armes accomplis
durant la Première guerre mondiale. Mais vu qu'il s'opposait ouvertement à la
politique officielle pro allemande du gouvernement dirigé par le maréchal Ion
Antonescu, ce dernier l'avait fait mobiliser. Il lui avait mis à disposition
une voiture avec chauffeur, censée conduire Mihalache à travers le front, juste
pour lui montrer les raisons et la nécessité de l'alliance conclue avec Hitler.
Il est certain que, dans le contexte de l'époque, ce choix politique faisait
débat. »
Mais ce n'est qu'après la fin de la Deuxième guerre mondiale
que la force de caractère d'Ion Mihalache allait être mise à rude épreuve. Le
pays, occupé par l'Armée rouge et dirigé par un gouvernement pro communiste
imposé par Moscou, se trouvait à la croisée des chemins. Les provocations des
communistes, désireux de faire main basse sur le pays, étaient à l'ordre du
jour. Et c'est dans ce contexte, qu'en 1946, à l'approche des élections, Ion
Mihalache prononça un discours électoral mémorable. Ioan Georgescu, ancien
prisonnier politique du régime communiste, nous en parlait en l'an 2000.
Constantin Durican : « Il avait tenu son
discours lors d'une réunion commune, des libéraux et des nationaux-paysans, les
deux principaux partis qui essayaient de faire barrage aux communistes. Les
premiers étaient représentés par Dinu Brătianu, les seconds par Ion Mihalache.
Ils sont venus ici, à Câmpulung, pour parler devant une foule impressionnante. J'y
étais et je me souviens de cette tournure de phrase mémorable qu'avait eue Ion
Mihalache. Il a dit « L'on a dansé sur le pied droit jusqu'ici », il
parlait du régime du maréchal Antonescu, « et maintenant d'aucuns nous
enseignent de danser sur le pied gauche. Et moi je vous dis, et je le crois
fermement, qu'il vaut toujours mieux se servir de ses deux jambes pour danser. »
Cicerone Ioanițoiu, autre détenu politique, racontait, en 2001,
la rencontre qu'il avait eue en 1946 avec le leader national-paysan, déjà à
l'époque en résidence surveillé.
Constantin Durican : « A l'époque, les communistes lui avaient monté de toutes pièces un
procès au pénal, juste pour l'empêcher de se présenter dans son département de
Muscel. Et nous, ses amis, ses partisans politiques, avions décidé d'être
présents au procès, pour le soutenir. On était une douzaine de jeunes gens. Et
nous nous sommes pointés au beau milieu de la nuit, chez lui. Il nous avait
reçus, on a papoté, bientôt minuit allait sonner. Et puis, il se ressaisit :
« Mes garçons, il faut aller vous reposer », qu'il nous dit. On le
rassura. Mais bon, finalement, Brătulescu, instit lui aussi, est arrivé nous inviter
à aller dormir chez lui. On prit congé, mais Ion Mihalache nous accompagna
jusqu'à notre hôte de fortune, faisant fi de nos protestations. Il nous
disait : « Vous êtes venus me rendre visite, et c'est quand même la
moindre des choses que je vous raccompagne ». Ion Mihalache avait du
caractère, cela est certain. »
Jeté en prison à la suite d'un procès monté de toutes pièces
par les communistes, Ion Mihalache allait trouver la mort le 5 février 1963, dans
la prison de Râmnicu Sărat. (Trad. Ionuţ Jugureanu)