Le règne de Stefan cel Mare/ Etienne le Grand marqua la mémoire de ses contemporains et demeure encore et toujours le symbole d'une Moldavie, sinon d'une Roumanie, exemplaire.
Etienne le Grand monta sur le trône de Moldavie en 1457, pour y régner sans partage et avec beaucoup d'adresse, pendant pas moins de 47 ans. Il s'allia ou se mesura tour à tour aux puissances régionales d'alors qu'étaient la Pologne, la Hongrie et, surtout, l'Empire ottoman à son apogée.
Les historiens et les écrivains roumains du XIXe siècle, épris du romantisme à la mode à l'époque, ont réussi à forger un véritable mythe héroïque autour du personnage, tout comme l'image d'une Moldavie puissante, prospère, tout près d'être invincible. Cependant, la réalité fut, comme souvent, beaucoup plus nuancée. Car, même en traversant cette période faste de son histoire que fut le règne d'Etienne le Grand, force est de constater que la Moldavie était encore une principauté située aux confins de la civilisation européenne, où les gens n'était pas à l'abri du dénuement et où l'insécurité régnait trop souvent en maître. L'historien et l'archéologue Adrian Andrei Rusu, qui s'est surtout penché à dépeindre le quotidien des Moldaves à l'époque d'Etienne le Grand dans son récent ouvrage, arrive à démonter avec hardiesse bon nombre de mythologies historiques bâties autour de cette période par les historiens de la période romantique.
L'historien Ovidiu Cristea, de l'Institut d'histoire de l'Académie roumaine Nicolae Iorga, croit en revanche que les conclusions différentes auxquelles sont arrivées ces deux générations d'historiens s'expliquent surtout par la difficulté d'interpréter les documents d'époque, en essayant trop souvent de comprendre le passé en chaussant les lunettes du présent.
Ovidiu Cristea : « Pour citer le professeur Rusu : pour couvrir la réalité de cette période médiévale, le langage utilisé par les chancelleries ne suffit pas. Umberto Eco était arrivé à la même conclusion lorsqu'il avait analysé le texte de Marco Polo, où tout porte à croire qu'il dépeignait un unicorne mythologique, alors qu'il n'était qu'en train de décrire le banal rhinocéros. Seulement, à son époque, ce terme et la réalité qu'il couvrait n'existaient pas. Marco Polo se voit donc obligé de faire appel aux sources mythologiques qui lui étaient familières pour décrire une réalité de fait nouvelle et différente. Et c'est bien au même type de processus mental que fait appel l'historien contemporain lorsqu'il se heurte à une réalité, à des objets du quotidien dont il ignore l'utilité et l'utilisation que leur donnaient les gens de l'époque. »
Adrian Rusu s'était en effet donné pour mission de faire revivre le quotidien de la société médiévale moldave à l'époque d'Etienne le Grand. En outre, il s'était attelé à reconstituer la résidence du célèbre prnce médiéval moldave, exercice loin d'être facile.
Adrian Rusu : « J'avais dû reprendre l'intégralité de l'information archéologique et architectonique de l'époque pour mettre à jour l'existence de l'appartement voïvodal à l'intérieur du château de Suceava. Il comprenait un grand salon, au plafond voûté en style gothique, et frappé de ses armoiries. Mais le comble a été la découverte des salles de bain, l'une dotée d'eau froide, l'autre d'eau chaude. Le château fort comprenait également un jardin, élément usuel à l'époque aux cours royales de cette partie d'Europe. A vrai dire, il est improbable qu'Etienne le Grand, dont le long règne avait signé l'apogée de la Moldavie médiévale, eût été dépourvu de quelque élément de confort que ce soit et dont pouvaient bénéficier les autres princes de son rang de la région à cette époque-là. »
Mais Adrian Rusu exprime aussi son scepticisme à l'égard du dynamisme économique de la Moldavie de l'époque : « Les routes de commerce traversaient en effet la Moldavie du sud au nord, mais il s'agit surtout du commerce du poivre et de la soie, ce qui n'avait pas trop d'impact sur la population locale. Une infime minorité s'enrichissait, mais cela était plutôt anecdotique. Ce commerce profitait surtout aux autres, par-dessus tout aux Saxons de Transylvanie, de Braşov, de Bistriţa, qui écoulaient leurs marchandises en Moldavie. Clous, marteaux, scies, bois façonné, tout ce dont les Moldaves avaient besoin. Peu d'artisans vivaient en Moldavie, la plupart n'étaient que de passage. Ils venaient lorsqu'il y avait du travail, c'était un peu comme les travailleurs saisonniers d'aujourd'hui. Mais il est vrai que durant le règne d'Etienne le Grand, les artisans avaient du boulot, ils recevaient des commandes publiques et ils s'y établissaient sur le long terme. C'est ainsi qu'ils ont réussi à ériger cette suite de merveilles architecturales dont on s'enorgueillit jusqu'à aujourd'hui ».
Quant aux qualités du prince moldave, Adrian Rusu nuance quelque peu ses propos : « Il est certain qu'Etienne le Grand était un type doué. Il avait compris son époque, il avait compris de quoi il retournait. Pourtant, ce ne sont pas les compétiteurs au trône moldave qui manquaient. Il pouvait voir menacer son trône à tout moment, mais il avait compris son pays, ses besoins, ses points forts et ses faiblesses. Il avait régné selon le système hérité depuis Ioan de Hunedoara. Mais il avait su demeurer présent, s'afficher au milieu de ses ouailles, il faisait montre de toute l'autorité nécessaire pour asseoir son prestige. »
Etienne le Grand avait été plébiscité en 2006 dans le cadre d'un concours intitulé « Grandes personnalités roumaines ». Mais, au fil du temps et à la faveur de nouvelles analyses, le mythe de l'invincible voïvode commence à prendre du plomb dans l'aile. (Trad. Ionuţ Jugureanu)
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